Le dossier de combattant volontaire de la Résistance : une source paradoxale

Que l’on soit historien ou généalogiste, quiconque s’intéresse à l’armée des ombres pendant la Seconde Guerre mondiale s’est nécessairement posé un jour cette question : la personne sur qui l’on travaille en fait-elle ou non partie ? A-t-elle été reconnue – terme qui n’est pas neutre tant sa dimension administrative est indissociable d’une autre, morale cette fois-ci – pour ses services ? Et, à chaque fois, en fonction de la réponse, se dessine un parcours potentiel dans les archives. Si la réponse est affirmative, alors on pourra consulter, entre autres documents, le dossier de Combattant volontaire de la Résistance (CVR) alors que dans le cas contraire, c’est vers d’autres sources qu’il faudra se tourner. Pourtant, quoi qu’assez logique, ce raisonnement n’est pas forcément le plus pertinent…

Carte de combattant volontaire de la Résistance. AERI.

C’est en 1949, après plusieurs textes de lois et des débats qui témoignent des crispations grandissantes entre philo et anti-communistes autour de la captation du souvenir de l’armée des ombres, que les modalités d’attribution de la carte de Combattant volontaire de la Résistance sont fixées. Celles-ci sont calquées sur la carte du combattant : disposer de 90 jours d’action clandestine au sein d’une unité homologuée avant le 6 juin 1944 – date qui bien évidemment ne fait pas consensus… – ou témoigner d’une blessure lors d’un combat mené avec une organisation de Résistance. Point sensible du point de vue des mémoires, le statut s’applique tant à la clandestinité hexagonale qu’aux combattants dits « extra-métropolitains »,  autrement dit aux Français libres1. La dite carte donne par ailleurs droit au port de la Croix du combattant volontaire de la Résistance, médaille crée en 1954.

Précise, cette législation n’admet aucune procédure d’automaticité. C’est donc aux intéressés de faire valoir auprès de l’administration compétente leur qualité de combattant volontaire de la Résistance. Dans un premier temps, l’Etat n’avait octroyé que des délais très courts pour ce faire mais nombreux sont les  gouvernements à reculer cette forclusion, jusqu’en 1958 et au retour du général de Gaulle au pouvoir qui clôt définitivement la procédure. Concrètement, les postulants à ce titre doivent remplir un dossier auprès du service départemental de leur lieu de résidence de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, établissement public qui va l’instruire puis statuer (au terme d’une commission paritaire composée de représentants de l’administration et d’anciens combattants élus). Parmi les pièces justificatives qui doivent être fournies figurent deux témoignages certifiant l’activité dans la Résistance, pièces qui bien entendu aiguisent l’appétit des historiens mais peuvent également se révéler piégeuses.

C’est là où, en effet, du point de vue des chercheurs, la lecture se complique. Ce que traduisent les dossiers de combattants volontaires de la résistance est avant tout la vision d’une administration qui cherche à déterminer qui a ou non droit à ce statut ouvrant des droits sociaux (secours financiers…). En toute logique, l’Office national des anciens combattants a tendance à valoriser les dossiers ayant bénéficié d’une issue favorable. Pourtant, ceux-ci se révèlent parfois bien pauvres, notamment lorsqu’il s’agit de personnalité ayant pignon sur rue, dont les états de service dans la clandestinité sont, si ce n’est dénués de zones d’ombre, connus de tous comme allant très largement au-delà des fameux 3 mois avant le 6 juin 1944 nécessaires à la délivrance de la carte.

Scène de la Libération. Sans lieu ni date. Collection particulière.

Or, de manière assez paradoxale, ce sont bien souvent les dossiers les plus « limites », voir même ceux ayant fait l’objet d’un rejet, qui d’un point de vue archivistique, sont les plus riches. En effet, devant le ou les refus de l’administration, le requérant produit toujours plus de pièces afin d’étoffer son dossier, documents qui ne lui permettent pas toujours d’obtenir gain de cause mais qui, bien des années plus tard, font le bonheur de l’historien. Il ne faut donc surtout pas hésiter à dépouiller les dossiers de rejets de cartes de combattants volontaires de la Résistance, ceux-ci pouvant se montrer très riches… quand ils ont été conservés. En effet, moins intéressants du point de vue de l’administration, ils ont été trop souvent détruits.

Erwan LE GALL

 

1 Pour de plus amples renseignements se rapporter à l’article classique de WIEVIORKA, Olivier, « Les Avatars du statut de résistant en France (1945-1992) », Vingtième siècle, n°50, 1996, p. 55-66.